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3 mois de mission de paix
7 décembre 2009

Dead Sea

…………De là, David monta vers les lieux forts d’En-Gedi où il demeura. 

Lorsque Saul fut revenue de la poursuite des Philistins, on vint lui dire, voici, David est dans le désert d’En-Gedi.

Saul prit trois mille hommes d’élite et il alla chercher David jusque sur les rochers des boucs sauvages. 1Samuel 24.

J’y suis, au milieu des rocs du désert, mais les boucs sauvages sont sûrement restés dans les récits anciens car on ne les voit pas, depuis le grand bus Egged bleu-roi, pris très tôt ce matin à la Gare Routière Centrale de Jérusalem.

Ma co-équipière (alias Titi-la-Suédoise) voulait voir un lieu biblique, un vrai de vrai, le plus ancien possible, le plus loin possible des conflits du XXI siècle qui nous dévorent, pour cette petite journée de halte, et, ma foi, moi aussi.

En-Guedi, nous y sommes. Le désert est là, sa stupéfiante beauté en à-pics de sable et en parois de roches nous attend comme si elle attendait encore le futur roi David poursuivi par le vieux roi Saul.

Si les conflits sont restés, ils ont changé d’époque et on peut, pour quelques heures, les laisser à 1h30 d’ici. Titi-la-Suédoise ronchonne qu’elle aurait du relire, avant de venir, le récit de la rencontre de David et du Roi Saul, 1Samuel 24, déclare qu’elle est nulle en ancien testament, qu’elle sait tout juste qu’il y avait eu une bataille entre eux, juste là, pas loin de là où nous sommes, et encore, va savoir. Du coup, elle décide aussitôt que, rentrée à Stockholm, elle s’inscrit à des cours de Bible ancienne.

Pendant ce temps, je me rappelle vaguement, pour ma part, une histoire de manteau coupé entre nos deux héros, mais en signe de quoi? Alliance ou offensive ?

La question ne se pose pas longtemps, car le bus s’arrête pour la quatrième fois, et la quatrième halte, c’est la nôtre, c’est sûr, et il vaut mieux descendre en quatrième vitesse, comme le font ici tous les voyageurs de transports en commun avec leur étonnante docilité face à l’impatience des chauffeurs de bus ou de services, capables de redémarrer en trombe avant que vous ayez fini de descendre.

Que de chiffres quatre : En-Gedi, source du chevreau, comme le signale le manuel-guide que je compulse une dernière fois, c’st un village aussi, étalé sur 4 kilomètres qui mène à la Mer, dite Morte on ne sait pas par qui, car pour les hébreux, elle se nomme Mer de Sel..

Laissons-là, Saul, David et tous les Philistins de la terre et  tournons le dos à la splendeur montagneuse, pour aller accueillir la fine ligne blanche qui scintille en contrebas. Comme il est tôt, nous sommes délicieusement seules à fouler le petit kilomètre qui nous mène en droite ligne sur la berge miroitante. On sait que cet endroit est un des plus bas de la terre, le plus bas du globe signalent les gens informés, qu’il est fragile malgré les millénaires qu’il contemple, car l’eau s’en évapore inéluctablement et le Jourdain qui l’alimente, doit fournir aussi de plus en plus les systèmes d’irrigations qui nous valent par ailleurs, de si bons légumes…

Mais, pour l’heure, il s’agit de savourer chaque minute de cette journée, à commencer par un bon bain de mer, assise dans l’eau qui porte comme dans un hamac, à ce qu‘on dit. La brise qui nous accompagnait dans la marche est devenu un vrai vent, grand et bon, joyeusement sonore et qui soulève un ressac digne des criques bretonnes de ma doulce France.

La plage est mousseuse d’écume et de sel, mais Titi, en respectable suédoise, ne s’arrête pas à si peu et s’apprête à faire enfin le plongeon le plus assaisonné de sa vie. Un appel sonore nous arrête. Dans ce bout du monde, une baraque en bois sur la berge abrite un authentique gardien qui veille à la santé des amateurs de Dead Sea.

Il explique le vent, la teneur mortifère des vagues en sodium, incompatible avec les muqueuses humaines – et même animales, car nul poisson ni autre espèce ne survit ici- bref, hors de question de nager par un temps pareil, risque d’ingestion accidentelle d’une lampée fatale d’eau, trop riche en sel, risque de devenir aveugle et pire que tout, il y a eu mort d’homme le mois dernier dans les mêmes circonstances. Une baignade dans l’Acide Chlorhydrique ne nous ferait pas pire effet.

Que faire au bord de la Dead Sea un 26 Novembre, quand le vent souffle, les vagues mugissent et la fin la plus affreuse vous guette au moindre faux-pas? En dehors du débat sur l’affrontement des Philistins, du roi Saul et du pas-encore- roi David et son bout de manteau qui attendra des jours meilleurs, on ne se lasse pas de regarder, toucher les plaques de sel, se faire régénérer par un soleil vibrant et sans le moindre risque de coup de soleil, pour une obscure raison d’arrêt des rayons x dans cette région décidément inédite.

Ah! La femme de Loth ne connaissait pas bien sa géographie! Ce n’est pas une délicate poudre de blanc pur sel de Guérande qui lui a recouvert les épaules quand elle s’est retournée sur Sodome et Gomorrhe en flammes (pas très loin d’ici, non plus, décidément) ! Les épaisses plaques de cristaux aussi coupantes que du givre qui crissent sous nos pieds, servaient, dit-on, aux égyptiens, pour embaumer les corps. Elle a dû sentir la gangue mortelle lui couper la respiration vite fait, la pauvre Lady !

Mais tandis que je m’amuse, ma co-équipière suédoise a l’impression d’avoir perdu son temps, et fait comme la femme de Loth, regarde, regarde en arrière la Dead Sea en furie pour guetter le calme, Mais où est la tempête apaisée? Ricane-t-elle en français (car elle est aussi bilingue qu’experte en Evangile).

On pourra peut-être se baigner dans deux heures, non? Vers la fin de l’après-midi, alors ? Le gardien hausse les épaules et dit que cela peux durer huit jours. Quant à moi, j’ai repéré de loin, d’étranges silhouettes et j’ai hâte de vérifier qu’ici, on peut se rouler dans la boue, qui est mondialement connue pour ses vertus de toutes sortes. Quelques minutes plus tard en effet, me voilà gluante du plus beau marron- chocolat puisé à pleines mains dans des sortes d’auges dégoulinantes, prévues à cet effet. Une bande d’amis se roulent les uns sur les autres dans une bataille de classe de maternelle et l’allure fantomatique des silhouettes noires sur le ciel bleu cobalt a peut-être été celle, qui sait, des cours royales du temps jadis, quand elles venaient se reposer et se nettoyer des batailles du moment. Des tuyaux de zinc aspergent les alentours d’eau sulfureuse et chaude pour rincer la boue séchée sur nous et ne faire que du bien à nos épidermes de citoyens du XXIe siècle.

Titi-la-Suédoise remarque que les jets d’eau brûlants d’Islande où elle se rend régulièrement ont plus d’allure encore, mais je pense à part moi qu’elle ne se remet pas de sa déception Mer Morte, et que ce pays ne trouvera pas vraiment grâce à ses yeux. La dernière manche nous attend.

Un retour à la plage de givre brulante de sel, met un point final aux derniers espoirs car le vent souffle plus fort que jamais, et, pire encore, la berge est couverte de curistes russes venus d’on ne sait où, serrés frileusement dans de petites serviettes blanches, très années 50. C’est une piscine d’eau trouble, couleur caca-d’oie, qui nous accueille enfin, puant le soufre pour la bonne cause cette fois-ci.

Je perds 20 minutes à tenter d’expliquer et traduire le jeux de mots français à Titi-la-Suédoise, qui ne voit pas ce qu’il y a de drôle a sentir le soufre, et puis, tant pis, je renonce et m’amuse toute seule de la formule. Titi-la-Suédoise est partie, dire son fait à un autre gardien en pleine forme, qui s’amuse visiblement à l’écouter se plaindre de ne pas avoir été prévenue de l’état de la mer, avant de prendre son ticket pour la prestation piscine-pleine-de-soufre et de ne pas avoir eu de serviette de bain pour le même prix. Welcome en Israel, finit-il par conclure.

Et elle de résumer en me rejoignant que, de toutes façons, ce sont des voleurs de Palestine. Ein-Gedi en a entendu d’autres, me reste plus qu’à aller pousser un bout de marche un de ces jours vers l’antique Gomorrhe que Dieu aurait réduite à néant par le feu et ce soufre dont je sais maintenant la réalité toute géographique.

Plus tard, dans Jérusalem déjà sombre à l’heure du Tea Time, Samuel 24 nous restitue le fin mot de l histoire, la réconciliation des deux ennemis, la retenue du futur Roi David, artiste du beau geste qui arrête son épée sur un pan de manteau et le pacte final je te laisse devenir Roi, tu me laisses ma postérité.

En filigrane, s’élève, pendant la lecture, la silhouette de sel, mélancolique et pâle, d’un regard de femme sur toutes les bêtises humaines.

Claire-Lise Pattegay, Jérusalem, fin Novembre 2009.

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