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3 mois de mission de paix
7 décembre 2009

Festivités

La fête de l’Aid démarre  pour les palestiniens de Jérusalem et d’ailleurs, tandis que mes compagnons (surnommés Snoopy et Beatrix Potter) et moi-même, cheminons vaillamment entre rues et taxis collectifs, vers le quartier Abu Dabis coupé en deux par le Mur de Jérusalem-Est.

Nous avons rendez-vous avec le directeur de l’Association Camden Abu Dis, jumelée avec celle de Londres.  Il compte nous faire visiter aussi un Musée situé dans l’Université arabe Al Quds.

C’est Snoopy qui est content ! A Londres, il connait bien cette organisation, mais le voilà qui se perd en conjectures sur l’adresse exacte du rendez-vous et nous perd, par la même occasion. Les rues sont désertes et pas le moindre estaminet n’est susceptible de nous vendre un café sur le pouce à cette heure précoce. Le rare marchand ambulant que nous découvrons ne propose rien d’autre que des boulettes de pois-chiches et notre British s’échine sur son téléphone pour avoir le fin mot de l’adresse à l’intérieur même de l’Université riante et verdoyante.

Le directeur nous emmène enfin, au pas de charge, visiter le Museum for the Prisoners Movment Affairs, qui garde toute la mémoire d’années de luttes et de persécutions, entourée d’un parc paisible et parfume par les pins parasols.

La porte d’entrée reproduit le tourniquet d un Check-point, à l’identique de celui de Qalandjia, et la visite est une épreuve qui ne nous épargne rien des témoignages d’interrogatoires, de tortures et de courriers des détenus. Une grande carte Israël-Palestine, dès l’entrée, indique en plusieurs couleurs l’emplacement de tous les centres de détention.

Que dire ?

De tout. Des adolescents interdits de visites. Des photos de chars israéliens protégés par des passants réquisitionnés pour servir de boucliers humains.

Que dire?

Il y aurait 6 000 prisonniers actuellement à Ktsiot en dessous de Gaza. Des chiffres, des faits. Depuis 1967, 800 000 palestiniens auraient été jetés en prison. Un vieil article de loi datant du mandat britannique, appliqué sans discernement, de longues Administratives Detentions.

Le répertoire minutieux de soixante-seize sortes de techniques d’interrogatoire est affiché à côté de photos grandeur nature.

Vingt-cinq noms de martyrs des années 1917-1948 aux visages quotidiens, anodins ou souriants comme n’importe quel passant de la rue. De 1967 à 2007, 220 noms. 104 prisonniers actuels comptent plus de vingt ans de prison derrière eux. Le Malheur est un grand carnet de comptabilité humaine.

Et puis, voici la salle des activités artisanales, obligatoires, qui peuvent occuper plusieurs années. On y voit des maquettes de mosquées multicolores réalisées en perles de broderie, des lettres aussi, écrite sans marges, comme pour remplir le maximum d’espace dans un minimum de temps.

Et puis des cahiers entiers, recopiés d’un prisonnier à l’autre, disposés dans une vitrine à laquelle répond une autre vitrine, celle de ces mêmes cahiers, devenus Livres ou Brochures publiés à la sortie de l’un ou l’autre des détenus, dont on aimerait connaitre l’odyssée exacte.

Pardon ? Tolérance ? Justice ? On songe à tous les prisonniers du monde depuis la nuit des temps. Le directeur lui-même a connu l’Administrative Detention. Quel palestinien, Remarque-t-il, ne connait  pas de prisonniers dans son entourage ? Père de famille, il explique les obstacles, aussi efficaces que les Barriers de béton, qui dispersent sa famille et lassent les solidarités. Sa fille ainée ?

Il faut supporter  plus de 50 minutes de transports et de contrôle pour la voir,  alors qu’elle habite à dix minutes à vol d’oiseau.

Les cartes d’identité vertes ou bleues démantèlent les rôles familiaux, et ses enfants habitent avec leur mère, qui a la bonne carte. Lui ne peut donner son nom à ses descendants, il est suspect, ils n’auront donc d’existence légale en dehors de leur mère, qu’au prix de démarches infinies.

En attendant, les autorités attribuent d’office le nom de famille du Grand-père maternel aux nouveau-nés.

Nous voilà de plain-pied dans la réalité, car la conversation débouche sur l’heure qui tourne, et, justement, le jeune directeur a besoin d’aller chercher un justificatif, un laissez-passer, que sais-je, pour permettre à sa femme d’aller accoucher du dernier bébé en date, le mois prochain, dans une maternité de Jérusalem. Sans lui, le père activiste, évidemment. Quelle tracasserie, encore, cette fois-ci ?

Du coup, toute la troupe s’ébranle, allez, on vous accompagne. Le petit bureau administratif  est à peine assez grand pour nous accueillir, mais le papier tant attendu est prêt et il s’envole de la main distraite de l’employé dans celle du père de famille avec tant de désinvolture que nous protestons amicalement, ah non, pas si vite, on veut le voir ce fameux document ! Et l’on sourit enfin, aux plaisanteries sur le courage des  femmes qui tombent amoureuses d’activistes.

Dehors, les préparatifs de l'Aid al Adha s’activent et les boutiques grandes ouvertes regorgent de victuailles multicolores, maintenant. En mémoire du sacrifice d’Abraham, les familles vont festoyer autour de moutons grillés. Nous voilà, longeant le sinistre Mur qui déploie ses courbes de Boa Constrictor autour de nos questions muettes. Pardon ? Tolérance ? Justice ?

Bon Prince, le boulevard  décide alors de nous distraire et d’amuser nos regards : de comiques carcasses décorées de touffes d’herbes aromatiques, pendouillent gaillardement le long des vitrines des bouchers, ouvrant  des pages sur ces viandes savoureuses débarquées tout droit de l'Ancien Testament. Elles vont enfin avoir droit de citer pour un moment et accompagnent notre retour. De fait, c’est leur spectacle qui nous apaise, nous réconforte et nous prépare pour le lendemain. 

Claire-Lise Pattegay, Jérusalem, 27 Novembre.

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