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3 mois de mission de paix
10 novembre 2009

Tintin

photo_checkpoint

Cinq heures….

Déjà, un monde fou ce matin, au Terminal de Qalandya, principal Check-Point d’entrée des habitants du West Bank à Jérusalem.

Dans les couloirs à barreaux et aux alentours, des centaines de silhouettes sont là, à attendre l’heure d'ouverture des tourniquets du contrôle. Ce qui frappe, c’est l’âge moyen, si jeune, des gens, et leur attitude trottinante en file indienne, imposée par le rythme du passage. Une personne toutes les deux secondes, foi de chronomètre d'accompagnateur Œcuménique... Puis arrêt des passages pendant dix minutes pour laisser le flux s’écouler vers les contrôles d identité, et reprise. Un soldat tout jeune aussi s’est installé dans la guérite devant son écran, face à ceux de son âge, de l’autre côté de la frontière.

Nous avons emporté ce matin des exemplaires d'un magazine écrit en arabe sur l’action de EAPPI, et ces cadeaux au hasard des files d'attente, sont une occasion d’échanges - après un bref moment de perplexité  - de commentaires aussi, entre les gens penchés sur les photos.

Un petit garçon accompagné de sa maman me dévore des yeux, mais je découvre qu’il espère surtout avoir un exemplaire pour lui tout seul. Je demande l’accord de la maman et c’est beau de voir comme il tend ses mains comme vers un trésor. Il opine de la tête pour me dire merci et la maman me fait comprendre qu’il est sourd. Accrochée à sa veste, une carte de visite indique ses noms, prénoms, nom et adresse de l’hôpital où il doit se rendre. Sourd et cardiaque, il vient chaque semaine. Nous voilà échangeant des préoccupations de mères de famille, chacune dans sa langue. Il a sept ans et demi, il nous regarde parler en serrant son magazine dans ses deux bras croisés sur sa poitrine, il sourit de toutes ses dents pendant que sa maman lui caresse la tête fièrement.

Mais voilà l’incident. Des éclats de voix s’élèvent et la foule impressionnante qui a continué de s’amasser, semble se tendre instantanément. Tout ce monde en arrêt a les yeux fixés sur un jeune palestinien, refoulé par un autre garde plus âgé, qu’il invective copieusement. Le garde semble fou furieux des propos qu’il reçoit, lui intime l’ordre de revenir, essaie même de grimper à travers les barreaux comme pour le retenir, mais l’autre n’en a cure, lui tourne le dos, continue sa route et ses insultes.

Alors, puisqu'on ne peut retenir le coupable, tout le monde sera puni. C’est apparemment le sens du message qu’il assène aux files d’attente et une clameur de colère lui répond avec poings levés.

De fait, tout s’arrête, tout le monde est bloqué, couloirs à barreaux, files extérieures, contrôles d’identité. Dans la guérite, trois soldats ont rejoint le garde, plaisantent et bavardent entre eux, sans plus se soucier des gestes et des appels. Notre petite équipe est tout de suite entourée de solides gaillards  réclamant notre intervention.

Notre téléphone individuel contient le no dit Human Hotline un correspondant reçoit doléances et signalements d’abus et répond qu’il va faire le nécessaire.

J’ai eu l’occasion de vérifier son efficacité en particulier, pour ceux qui empruntent la Human Gate réservée aux enfants, vieillards et malades, afin de faciliter, le cas échéant, l’accompagnement d’un parent ou d’un proche. Un autre numéro du même type est affiché, bien en vue, sur les murs de la guérite. Mais aujourd’hui, rien à faire, rien ne bouge, et tous les gardes sont sortis de la guérite en se positionnant à la dure, jambes bien droites, écartées, et fusil mitrailleur en main, sourire narquois.

On nous a bien dit que le climat d'une matinée de passage peut changer du tout au tout, en fonction du garde responsable ce jour là. On nous a prévenu que les ordres sont stricts sur les grands points, mais que les détails ou les incidents sont à l’appréciation du responsable du jour.

Ann, accompagnatrice de l’équipe précédente, en a fait les frais deux semaines auparavant. Cette anglaise d’âge respectable s’est retrouvée, deux heures durant, méticuleusement interrogée et déshabillée face à une adolescente arrogante, comme elle qualifiait la jeune soldate, qui n'avait pas appréciée son intervention trop directe assortie de commentaires trop bien sentis ! Nous attendrons le bon vouloir du prince vexé, près de quarante minutes.

Quand le flux pourra reprendre son cours, il commencera par le couloir de Human Gate, prioritaire, ce qui oblige les autres couloirs à attendre leur tour.

Derrière les soldats en grande forme, je remarque alors une sorte de Tintin aux yeux bleus et bonnes joues roses, qui parait complètement perdu avec son uniforme et son grand fusil. Il regarde de tous ses yeux le défilé qui avance, trahissant une inexpérience et une sorte de découverte poignante.

Qui sait ce que peut penser une jeune recrue israelienne plutôt slave, quand elle découvre le nom de son affectation …

Qui connait le secret des petits garçons palestiniens malades, heureux du premier cadeau venu…

Israël et Ismaël dans la foule de Qalandyia, on voudrait que leurs regards se croisent et se consolent à travers les barreaux. On ne peut que les déposer, là, sous la ligne des mots et devant vos prières.

Et que l’Eternel, qui est leur berger comme le nôtre, restaure leur âme et les conduisent vers les rives paisibles du Psaume 23.

Je rappelle que ces textes n'engagent que ma personne, ils ne sont en aucun cas le reflet, la communication  ou la position d'une organisation de quelque manière que ce soit.   

Claire-Lise Pattegay, Jérusalem, 5 Novembre 2009

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